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Les Légendes Bruxelloises (29) - La Calvitie du Grand Duc d'Occident

28/6/2017

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Légendes bruxelloises
Victor Devogel 

Editions Trois Arches


Nouvelles édition annotée, d'après l'édition de Lebègue, Bruxelles 1914.

LA CALVITIE DU GRAND DUC D'OCCIDENT.
(1462)
 
OÙ L'INTERNAUTE APPREND A CONNAÎTRE L'INFLUENCE QUE PEUT AVOIR LA MALADIE D'UN PRINCE SUR LES CHEVEUX DE SES COURTISANS. 

Philippe, dit le Bon, ou encore l'Asseuré, duc de Bourgogne, était malade, très malade.

Qu'avait-il ?... Oh ! c'était chose grave. Il était atteint d'une affection qui ne pardonne guère : la vieillesse.

Oui. le grand duc d'Occident se faisait vieux.

Longtemps il avait combattu : en France, en Hollande, dans notre pays même. En effet, il avait souvent lutté contre ses sujets, quitte à pleurer sur ceux d'entre eux qui étaient morts. Hélas ! le temps arrivait où, prince ou manant, l'homme, au lieu de regarder l'avenir, songe au passé, examine sa vie, scrute ses actions d'antan. Et Philippe, le plus célèbre seigneur des contrées d'Occident, regardait en arrière et souffrait.

L'époque n'était plus où la cour ducale éblouissait les yeux par son luxe fastueux ; où la corruption y régnait sans partage ; où l'argent était dieu ; où les spectacles magnifiques, les tournois et les jeux faisaient l'unique occupation des seigneurs. Les jours étaient passés où les bourgeois, suivant l'exemple de la noblesse, étalaient des costumes d'une richesse merveilleuse; où le peuple lui-même était entraîné dans le tourbillon général.

Aujourd'hui, plus de fêtes, plus de joie. Mais la femme du duc éloignée de la cour ; mais le fils du duc brouillé avec son père à cause de l'attachement que ce dernier montrait à la noble famille des Croy et parce qu'il avait recueilli le Dauphin de France, depuis Louis XI, «le renard qui devait dévorer ses poules».

Ah ! le grand duc d'Occident avait beau recevoir à sa cour l'ambassade des princes asiatiques, lui demandant de porter la guerre en Orient et de combattre Mahomet II qui, en 1453, avait planté l'étendard du prophète sur les remparts de Constantinople : l'âge était venu et avec lui les soucis, les embarras de toute espèce.

Donc, Philippe, dit le Bon, tomba malade et l'on crut qu'il allait mourir. C'était en janvier 1462. 

Sa femme, retirée dans un couvent, accourut à Bruxelles. Son fils, qui se trouvait alors à Saint-Quentin, arriva peu de temps après elle. Tous deux prodiguèrent au vieux duc les soins les plus assidus, bien que le comte de Charolais se fût quelque temps auparavant querellé une fois encore avec lui au sujet des Croy. Charles refusa, malgré les vives instances du duc, de prendre aucun repos. Il veilla quatre jours et quatre nuits au chevet du malade et ordonna, pour hâter sa guérison, que dans toutes les villes des Etats fussent faites des prières publiques et des processions. C'était de règle à cette époque.
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Cependant, Philippe guérit, mais... il resta chauve.

Voilà certes un phénomène des moins extraordinaires et, de nos jours encore, plus qu'alors peut-être, il n'est pas rare de rencontrer des individus qui sont loin de posséder une chevelure mérovingienne. Beaucoup de particuliers se sont vus malgré eux abandonnés de leurs cheveux et ne sont généralement pas honteux de montrer à leurs concitoyens un crâne aussi dénudé qu'une abrupte falaise battue des flots. 

Mais un prince ! Quelle autorité peut-il avoir encore sur ses sujets, au moins aussi chevelus que lui ! Et puis, il y a chauves et chauves. Les moins... malheureux conservent ordinairement une couronne duvetée qui peut avoir du cachet et jeter dans l'étonnement ceux qu'éblouit... le reste.

Or, il paraît que Philippe était chauve dans toute l'acception du terme, chauve à faire frémir. Son crâne, sous lequel tant de pensées avaient couvé, était nu et luisant comme une glace de Venise. Seules, quelques mèches lamentables couvraient encore son occiput.

Se montrer sous cet aspect à ses courtisans, il n'y fallait pas songer. Imaginez-vous Philippe le Bon, revêtu de son plus magnifique costume de cérémonie, le collier de la Toison d'or au cou, faisant son entrée tête nue, l'expression n'a ici rien d'exagéré, dans la grande salle de son palais qu'emplit la foule des seigneurs, heureux du rétablissement du duc !

Quelle que fût la puissance de volonté possédée individuellement par ces nobles gentils-hommes, il est évident qu'un involontaire sourire monterait à leurs lèvres, à la vue de leur maître dépouillé de son auguste chevelure.

Il fallait prendre des mesures, et même se hâter, car un souverain se doit à ses sujets et ne peut éternellement se cacher à leurs yeux.

L'histoire ne dit pas combien de jours durèrent les réflexions de notre illustre duc. Mais il est certain qu'il dut renouveler à sa manière le souhait de Caligula ; car si celui-ci désirait que le peuple romain n'eût qu'une seule tête pour pouvoir l'abattre d'un coup, il n'est pas moins certain que Philippe le Bon (pourquoi pas Philippe le Chauve ?) eût voulu que ses peuples n'en eussent qu'une aussi pour pouvoir... la faire raser.

Ah ! si, comme de nos jours, les perruques eussent existé ! Un habile arrangeur de cheveux coupés, passant quelques-unes de ses «doctes veilles» à confectionner une coiffure dans le goût du temps, eût vite donné au noble chef du très auguste souverain un aspect moins... éclatant.

Mais cette mode n'existait pas encore et le malheur voulut qu'aucun des courtisans n'eut la géniale idée de la créer. On raconte cependant que ces derniers, poussés par l'esprit de flatterie, allèrent «jusqu'à faire le sacrifice de leur chevelure». O dévouement !

Le fait est inexact. Du reste, quel est l'homme qui irait de son plein gré faire abandon de cet ornement dont nos ancêtres étaient si jaloux ? N'est-ce pas assez d'en être privé quand la vieillesse arrive !

Voici ce qui advint.

Philippe le Bon prit le parti le plus sûr. Inviter les nobles à se faire tondre, c'était courir à un échec certain. Leur vanter les avantages que l'on a à posséder une tête vierge de tout poil ; leur dire combien il est agréable, en été, par les jours de chaleur accablante, sentir sur sa tête dénudée la brise se jouer, si faible qu'elle soit; c'eût été parler à des sourds.

Il fit «un edict que tous les nobles hommes se feroient raires leurs têtes comme luy». 

La mesure porta immédiatement ses fruits. En un seul jour, cinq cents gentilshommes se firent raser les cheveux.

Quant aux récalcitrants qui se présentaient au palais sans être... en état de grâce, ils étaient traînés de gré ou de force près du sire de Hagenbach, maître d'hôtel et conseiller, qui avait été chargé «de mettre l'ordonnance à exécution».

Voilà comment Philippe le Bon échappa d'après lui, aux quolibets de sa cour. Son édit ne le rend-il pas, aux yeux de la postérité, plus ridicule qu'il n'aurait voulu l'être ?

Plusieurs chroniqueurs rapportent que de cette époque date l'introduction de la mode des perruques. C'est inexact encore. Ce ne fut qu'en 1622 que ces chevelures postiches firent leur apparition. Il est vrai que depuis...

Du reste, la mode des têtes rasées ne prit fin que lorsque Philippe mourut. Il y en eut peut-être qui bénirent cette mort.
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Les Légendes Bruxelloises (28) - Une Vendetta au Moyen-Âge

27/6/2017

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Légendes bruxelloises
Victor Devogel 

Editions Trois Arches


Nouvelles édition annotée, d'après l'édition de Lebègue, Bruxelles 1914.

Une Vendetta au Moyen-Âge
​La rue du Bois Sauvage

I

Un jour de l'année 13..., une grave nouvelle circula soudain dans notre bonne ville de Bruxelles. 

Un jeune homme, Georges Van der Noot, appartenant à l'une des plus nobles familles de la cité, avait été tué.

Le peuple, avide de connaître les détails de l'événement, se répandit dans les rues. Le Grand Marché -la Grand'Place- fut bientôt couvert de monde. Des groupes se formaient, discutant à haute voix ; les uns, se disant bien informés, certifiaient que le jeune sire avait été assassiné ; d'autres, mieux au courant d'après eux-mêmes, prétendaient qu'il s'était suicidé. D'aucuns affirmaient que le crime était le résultat d'une vengeance ; suivant d'autres, la jalousie en était le motif.

- Qui sait, s'écriait une grosse commère, si ces Juifs maudits n'en sont pas les auteurs.

- Par saint Michel ! le fait est possible, répliquait un petit homme maigre, à la face chafouine ; ils sont capables de tout.

- On raconte qu'ils ont encore enlevé un enfant à Louvain, il y a quelques semaines, disait une jeune fille.

- Pourquoi faire ?

- Pour le tuer, selon leur habitude. Ce sont de méchantes gens et, sainte Gudule me pardonne ! ils méritent tous la corde.

Soudain, une voix s'éleva :

- Laissez les Juifs en paix, cette fois. Georges Van der Noot est mort en combat singulier, tué par son parent Walter Van der Noot. C'est moi qui vous le dis.

Tout le monde regarda celui qui avait parlé. C'était maître Jean Loose, l'un des meilleurs armuriers de la ville, renommé pour sa sagesse.

- De qui le tenez-vous, maître Jean ? demanda quelqu'un.

- Je passais sur le Marché quand on a rapporté au Serhuygskintsteen le corps de Georges Van der Noot. L'un des valets m'a expliqué la chose.

- Dites-la-nous, maître Jean ! Dites-la-nous. On fit cercle autour de Jean Loose, qui raconta l'histoire. 

La voici: 

II

Georges Van der Noot, fils du chevalier sire Henri Van der Noot et de Marie de Serihane, et Walter Van der Noot, fils du chevalier sire Guillaume Van der Noot et d'Agnès de Baes-donc, appartenaient tous deux au noble lignage des Clutinghe, ou Serhuyghs, ou S'Hughe-Kints-Geslachte, dont le steen ou Serhuygskint-steen se dressait entre la Maison du Roi (Broodhuys ou Halle au pain) et l'église de Saint-Nicolas, l'angle de la Grand'Place et de la rue au Beurre, croit-on. ​
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Tous deux se disputaient la main de noble damoiselle Gudule, fille du sire Guillaume Van der Zennen, chevalier, appartenant au lignage de die van Coudenbergh ou ceux de Froidmont. On ignore où se trouvait situé le steen de ces derniers. Habitaient-ils le Cantersteen, à l'angle de la rue de la Madeleine et de la rue de l'Empereur ; le Machiaensteen ou Maximiliaen-steen, au coin du Marché-aux-Herbes et de la rue de la Colline (Hovelstrate en 1383) ; le Valkenborg ou château des Faucons, au Marché-aux-Tripes, anciennement le Ruisseau-aux-Souliers (Schoenbeke, 1559, actuellement le Marché-aux-Herbes ; la Southys ou Maison du Sel, située près d'une ruelle dite rue du Sel, non loin de l'église Saint-Nicolas ; la Payhuys ou Paeyhuys, ou Maison de la Paix, au coin de la place Saint-Nicolas et du Marché-aux-Poulets, qui existait encore en 1576 ; ou enfin le Plattesteen, dans la rue qui porte encore son nom et déjà converti en étuve en 1495 ? On ne sait.

Les deux rivaux ressentirent bientôt l'un pour l'autre une haine violente et après bien des querelles ils en vinrent à une rupture ouverte. A plusieurs reprises, ils dégainèrent en pleine rue de Bruxelles et c'est dans l'un de ces combats singuliers que Georges tomba, frappé à mort. Son cadavre fut transporté au lieu de réunion de la famille, au Serhuygskintsteen.

Telle est l'histoire que raconta maître Jean Loose.


L'affaire fit grand bruit dans la cité, comme on l'a vu. Au surplus, le peuple et les magistrats commençaient à s'inquiéter sérieusement de ces duels qui, trop souvent, avaient lieu dans la ville, ensanglantant le pavé des rues.

Car c'était la coutume pour les chevaliers et les membres des lignages brabançons. S'élevait-il une querelle entre deux de ces fougueux sires, vite ils couraient aux armes. Les amis s'en mêlaient, les lignages soutenaient leurs membres et la rixe dégénérait en mêlée. L'orgueil des familles, le caractère altier des nobles, les habitudes de désordre de nos aïeux attisaient ces haines farouches qui se transmettaient de génération en génération comme un héritage de famille et la lutte continuait pendant dix, quinze ou vingt ans, semblable aux vendettas corses.

Vers la fin du XIVe siècle, et après l'histoire que nous racontons, des mesures d'excessive rigueur furent prises par les magistrats contre ceux qui troubleraient la paix publique par le fait de leurs querelles : amendes, pèlerinages à Saint-Jacques de Compostelle, à Noyon, à Milan, en Provence, bannissement ou emprisonnement, augmentation de peine pour celui qui n'exécuterait pas la sentence, telles furent les principales dispositions des règlements pris contre ceux «qui se rendraient coupables de blessures, coups, menaces ou pillages».
Cependant, la situation faite après la mort du jeune sire Georges à la famille Van der Noot, et par suite au S'Hughe-Kints-Geslachte auquel elle appartenait, était cruelle.

Jusqu'ici, les membres d'un même lignage avaient généralement soutenu leurs proches ; aujourd'hui, si la querelle s'envenimait, la désunion allait s'introduire entre les membres d'une même famille, les uns partisans du défunt, les autres de Walter. De plus, une branche de la fa-mille Van der Noot était alliée à die uten Steenweghe qui allait certainement se scinder en deux partis, l'un pour, l'autre contre Walter, cause de la mort de Georges. 

On voit quelles proportions pouvait prendre la lutte qui allait s'engager. Les magistrats résolurent de l'empêcher.

Après bien des discussions, des négociations, des entrevues, Pierre Van Huffle, chanoine de Sainte-Gudule et secrétaire de la ville, parvint à apaiser l'affaire. Il fut convenu que le silence serait fait sur le duel, que les ennemis se réconcilieraient, que toute tentative de vengeance serait sévèrement réprimée.

Quant à noble damoiselle Gudule, cause de la querelle, personne n'en parla. On ignore ce qu'elle devint. Mais la suite de l'histoire nous apprendra que si, pour le moment, les membres de la famille de Georges consentaient à faire la paix, ils n'avaient pas perdu tout espoir de se venger. 

III

Le soir du 17 mars 1374, jour de Sainte-Gertrude, l'achterste-clocke (dernière cloche) sonnant au beffroi de Saint-Nicolas, annonça comme d'habitude aux bonnes gens de Bruxelles que l'heure de se retirer était venue.

Les bourgeois attardés regagnèrent leurs maisons de bois par l'obscurité profonde qui régnait dans les rues non éclairées et le silence se fit peu à peu dans la cité...

Les alentours de la collégiale de Sainte-Gudule étaient déserts. L'église dressait vers le ciel noir ses deux hautes tours jumelles qui 
venaient d'être construites ; la lune, se montrant à de courts intervalles entre les nuages, jetait des clartés blafardes aux angles des fines dente-lures du monument...
Deux ombres se détachèrent des murs de l'église de Saint-Michel au Mont qui s'élevait à cette époque au coin de la Treurenberg et de la plaine Sainte-Gudule. S'avançant avec précaution, elles descendirent la rue qui s'étend derrière le choeur de la collégiale, désignée jusqu'au XVIIe siècle par ces simples mots : derrière Sainte-Gudule, et s'arrêtèrent au bord de l'étang qui subsista à l'angle de l'église jusqu'en 1485, époque à laquelle il fut comblé.

C'étaient deux hommes : l'un haut de stature, de formes athlétiques ; l'autre plus petit, dont la cape qui l'enveloppait ne parvenait pas à dissimuler la maigreur.

- Il ne tardera guère, dit celui-ci. Il doit descendre la Treurenberg, contourner l'église et se diriger vers sa demeure par la rue d'Assaut et la Longue rue des Chevaliers (*). C'est ici que tu l'attendras.

(*) Rue de l'Ecuyer actuelle. 

- Est-il certain qu'il vienne ? dit l'autre.

- Il ne peut manquer. Mes renseignements sont exacts. Au reste, sois prudent.

- Que ne restez-vous ici ? 

- Non, fit vivement le petit homme. Et il grommela :

- L'autre n'aurait qu'à me reconnaître et si le coup manque... Non, non..., ajouta-t-il à haute voix.

- C'est que... Walter le Sauvage est fort et... ​

- Fais comme je t'ai dit et, par l'archange ! je saurai te récompenser... Or donc, à demain.

Et faisant un signe de la main, le petit homme s'éloigna vivement dans la direction de la rue d'Assaut.

L'autre le regarda s'éloigner... Puis il tira un poignard de sa ceinture et alla s'allonger sur la terre, au bord de l'étang, la tête tournée vers la Treurenberg.

Bientôt, une forme vague s'avança, venant de cette dernière rue.

- C'est lui ! murmura l'homme.
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La tour ou beffroi de Saint-Nicolas ou tour de l'Horloge s'érigeait rue au Beurre à l'angle de l'église Saint-Nicolas. Suite à un ouragan, elle s'écroula une première fois en 1367.
C'était Walter Van der Noot, connu dans la ville sous le nom de Walter le Sauvage depuis la mort de Georges, son parent.

D'où venait-il ? On l'ignore. Il traversa derrière Sainte-Gudule et contourna l'étang, passant à côté de l'inconnu qu'il ne pouvait apercevoir. Celui-ci attendit quelques secondes, puis, se dressant soudain, se précipita sur Walter qui tomba sous la secousse et lui plongea plusieurs fois son poignard dans la gorge. Walter mourut à l'instant.

L'autre se releva, examina le cadavre et s'enfuit vers l'intérieur de la ville...

Walter le Sauvage fut retrouvé au même en-droit le lendemain matin. L'enquête qui fut faite n'amena aucun résultat. L'auteur de l'attentat resta inconnu, de même que celui qui l'avait poussé à commettre ce crime. On attribua celui-ci, avec raison, à la vengeance et le peuple désigna la famille de Georges Van der Noot comme instigatrice de l'affaire. Quoi qu'il en soit, celle de Walter ne semble pas avoir cherché à tirer vengeance du meurtre. 


La rue où l'événement s'était passé prit le nom de Wilde-Wouterstraet, «rue de Walter-le-Sauvage», qui dégénéra plus tard en celui de Wild-Houtstraet, «rue du Bois-Sauvage», qui n'a aucune signification. On l'avait appelée aussi Haystraet, «rue de l'Éventail», et Blaesbalckstraet, «rue du Soufflet.» 

Ces dénominations n'ont pas subsisté. ​
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Les Légendes Bruxelloise (27) - Les Hosties Sanglantes

1/11/2016

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Légendes bruxelloises
Victor Devogel 

Editions Trois Arches


Nouvelles édition annotée, d'après l'édition de Lebègue, Bruxelles 1914.

Les Hosties Sanglantes

Le 1er octobre de l'année 1369, un homme enveloppé d'un grand manteau, sortit de l'auberge connue dans la ville sous le nom de 't Schild van Hongarye (l'Ecu de Hongrie), située rue d'Or actuellement, et depuis le XVIIe siècle, la rue de l'Empereur, «parce qu'un jour Charles Quint, allant rejoindre son armée, fut arrêté dans le voisinage pour une dette minime, qu'il s'empressa d'acquitter».

Le temps était affreux: une pluie battante tombait sur le sol détrempé ; de gros nuages roulaient dans le ciel.

L'inconnu s'arrêta un moment au seuil de l'auberge, puis, après avoir assujetti son manteau, tourna à gauche et se dirigea vers la Cantersteen, petite place qui reçut son nom du steen s'élevant à l'angle de la rue de la Madeleine et de la rue de l'Empereur et qui appartenait à cette époque aux Pipenpoy, famille célèbre dans l'histoire de notre vieille ville.

Il traversa la Cantersteen en contournant les vignes qu'on y cultivait alors et entra dans la rue Stoevaert ou Scoenaert, devenue la rue des Sols, nous verrons pourquoi. Il s'arrêta bientôt devant une pauvre masure, puis, après un rapide coup d’œil jeté à droite et à gauche, il frappa de son poing la porte qui trembla sur ses gonds.

On entendit à l'intérieur des murmures, des bruits divers entrecoupés de cris d'enfants.

L'inconnu frappa une seconde fois.

La porte s'ouvrit lentement.

- Allons donc, Jean, fais plus vite : on ne te veut que du bien, dit l'inconnu en repoussant celui qui était venu ouvrir et en pénétrant dans la place.

La porte se referma. Jean fit trois pas en avant. Il examina l'inconnu qui s'était débarrassé de son manteau et dont les traits étaient vaguement éclairés par les lueurs d'un maigre feu produisant plus de fumée que de chaleur.

- Messire Jonathas ! s'exclama-t-il.

Messire Jonathas était le nom d'un riche Juif d'Enghien. Mécontent de la conversion de quelques-uns de ses coreligionnaires, abominant du reste la religion chrétienne, il avait résolu d'outrager celle-ci et ses partisans dans ce qu'ils ont de plus sacré, c'est-à-dire les hosties servant à la communion.

On sait, en effet, que ces dernières, après leur consécration par le prêtre, représentent aux yeux des chrétiens le corps du Christ qui lui-même est considéré comme le fils de Dieu. Or, outrager les hosties, c'était outrager Jésus-Christ et cela constituait, à cette époque, un crime d'une horreur sans nom et que les supplices les plus affreux étaient seuls capables de faire expier.

Tel était cependant le but de Jonathas d'Enghien. Mais, pour satisfaire sa vengeance, il fallait tout d'abord posséder des hosties : voilà pourquoi il se rendit à Bruxelles et s'adressa à Jean de Louvain, Juif nouvellement converti à la religion chrétienne.

Celui-ci était pauvre, chrétien par nécessité et attaché de cœur à ses anciennes croyances ; il reçut avec grande joie le sac de sols parisis que lui donna Jonathas, lui disant: «Je te les baille comme arrhes d'un beau marché,» ce qui fit que la rue qu'habitait Jean de Louvain reçut depuis le nom de rue des Sols.
Lors, Jean de Louvain réclama explications sur ce que voulait Jonathas.

Celui ci répondit :

- Tu peux me rendre grand office qui n'est cependant pas sans péril. Je suis venu à toi, bien que tu aies renié la religion de tes pères et méconnu la loi de Moïse.

- Par besoin, messire, par besoin et par crainte, car vous savez que j'ai femme et huit enfants à nourrir. Mais au fond du cœur, je suis encore des vôtres.

- Tant mieux, tant mieux, et l'accord entre nous sera facile à établir. Voici mon frère. Les chrétiens vantent les hosties qu'ils emploient pour leur messe. J'en désirerais posséder quelques-unes.

- Qu'en voulez-vous faire ?

- Éprouver leur vertu.


Jean de Louvain pâlit.

- C'est un sacrilège puni des plus horribles supplices... Je refuse...

- Même si je te récompense ? dit Jonathas. 

- Messire, vous n'ignorez pas les dangers que je cours. La chose est grave. Ma femme et mes enfants mourront avec moi, si je suis pris.

- Agis avec prudence et lenteur. Rien ne presse. La récompense sera grande.

- Elle devrait être énorme pour payer la vie de tant d'êtres. Que me donnerez-vous ?

- Quinze moutons d'or.
(1)

(1) Cent vingt florins ou deux cent cinquante francs environ de notre ancienne monnaie.


Jean de Louvain hocha la tête.

- Nous ne nous entendrons pas, messire. Quinze moutons d'or pour un si grand péril ! Vous raillez !

- Serais-tu devenu riche, Jean ?

- Non, messire. Mais une vie d'homme vaut plus que cela.

- Tu es chrétien de cœur. Je ne reconnais plus en toi un fils d'Abraham. 

- Je suis ce que j'étais, messire. Que ne faites vous la chose vous-même ?

- Vingt moutons d'or, dit Jonathas.


Jean de Louvain hocha une seconde fois la tête.

- Vingt et un... Vingt-deux... vingt-cinq...

Jean de Louvain refusait toujours. Jonathas augmentait chaque fois la somme d'un mouton d'or. Il était arrivé à en offrir quarante.(2)

(2) Trois cent vingt florins ou six cent septante anciens francs environ.


- Je ne puis, ne cessait de dire Jean. 

- Mais enfin, combien veux-tu donc ? s'écria Jonathas avec impatience.

Jean fit quelques pas, compta sur ses doigts, puis soudain s'approchant de Jonathas :

- Je veux soixante moutons d'or (3) ou rien n'est fait, dit-il.

(3) Quatre cent quatre-vingt un florins six sous, soit mille francs de notre ancienne monnaie, représentant alors une valeur dix fois plus grande. 

- Soixante moutons d'or ! Tu te moques, misérable ! Adieu, je vais chercher un autre frère plus accommodant que toi.

- Allez, messire.

Et Jonathas sortit...

Cinq minutes après, il rentra.

- Voici quarante-cinq moutons d'or et que tout soit fini.

- Non, messire.

- Au moins, tu ne me trahiras pas ? Même si tu es pris, même si on te soumet à la torture, même dans les supplices les plus affreux, tu sauras te taire ?
 
Jean de Louvain pâlit. Un frisson lui parcourut les membres.

- Soyez tranquille, messire. Jamais l'un de nous n'a trahi ses frères.

- Cinquante moutons d'or, alors ?

- Je refuse.


C'est une somme pourtant !

- J'ai dit soixante.

- Comment peux-tu ne pas accepter une pareille fortune ?

- Je vous prie, messire, de me laisser.


Vous voulez ma mort.

- Entêté, dit Jonathas.

Et il sortit de nouveau....

Mais il rentra une troisième fois.

- J'ajouterai deux moutons pour ta femme et tes enfants.

- Soixante, messire.

- Au moins, fais-moi grâce de cinq moutons.

- Soixante, messire.

- De deux.

- Soixante, messire.

- Et que me donneras-tu pour soixante moutons d'or ?


- Ce que je trouverai, seigneur.

- Tu les auras, dit Jonathas en soupirant... Chien de chrétien ! ajouta-t-il tout bas... Cela me coûte cher... Que le Dieu de Jacob confonde nos ennemis ! Tu ne recevras la somme que contre remise des hosties.

- Bien, messire ; revenez dans trois jours.

Jonathas sortit, pour ne plus rentrer cette fois.

Dans la nuit du 4 au 5 octobre 1369, Jean de Louvain pénétra dans la chapelle de Sainte-Catherine située près de la porte de Sainte-Catherine, l'une des sept portes primitives de la ville, construite au bas de la rue du même nom. Cette chapelle fut agrandie plus tard à diverses reprises et devint la vieille église de Sainte Catherine dont la tour subsiste encore.

Il brisa le tabernacle, déroba une grande hostie et quinze petites et s'empressa de les apporter à Jonathas qui l'attendait et lui compta la somme promise. Le riche Juif partit immédiate-ment de Bruxelles.

De retour à Enghien, il assembla ses amis dans sa maison. Puis, tous accablèrent les hosties et le dieu qu'elles personnifiaient d'injures et d'outrages et les tournèrent en dérision.

Par une coïncidence singulière, quelque temps après Jonathas fut trouvé poignardé dans son jardin. Qui était l'auteur du crime ? On l'ignore. Peut-être était-ce Jean de Louvain lui-même qui, craignant de se voir trahi, avait cru bon de faire disparaître Jonathas.

Quoi qu'il en soit, effrayée de ce malheur dans lequel elle croyait voir un châtiment du ciel, sa veuve n'osa garder plus longtemps chez elle les hosties. Elle les porta à Bruxelles et les remit aux mains des Juifs de la capitale.

Ceux-ci, comme dans toutes les villes où l'on tolérait leur présence, habitaient un quartier à part qu'on appelait les Escaliers des Juifs parce que les ruelles qui composaient ce refuge étaient, et sont encore pour la plupart, des escaliers. C'étaient la rue des Trois-Têtes, la rue Terarken, une partie de la rue des Sols et de la rue des Douze-Apôtres, et toutes les ruelles en escaliers qui se voyaient en cet endroit : rue Villa-Hermosa, rue Notre-Dame, etc. Leur synagogue se trouvait au coin de la rue des Sols et de la rue des Douze-Apôtres.

C'est là qu'ils se réunirent le 12 avril 1370, jour de Pâques. Assemblés autour d'une table sur laquelle ils avaient jeté les hosties, ils couvrirent celles-ci d'injures et de sarcasmes, entremêlant leurs propos d'imprécations contre le Dieu des chrétiens. Puis, ne se possédant plus de fureur, quelques-uns tirèrent leur poignard et en frappèrent les hosties.
Mais, chose étrange, des gouttes de sang jaillirent de celles-ci comme si c'eût été réellement un corps humain qu'ils avaient frappé. Saisis d'épouvante, les Juifs se dispersèrent.

Redoutant les suites de cette affaire, les uns, dit-on, se convertirent au christianisme ; les autres s'enfuirent de Bruxelles ; d'autres enfin, plus calmes, songèrent à faire disparaître les traces de leur action.

Ils résolurent d'envoyer les hosties dans une autre ville et chargèrent une femme nommée Catherine, Juive de naissance, mais récemment baptisée comme Jean de Louvain, de les porter à leurs frères de Cologne, moyennant une récompense de vingt moutons d'or.

Mais, soit qu'elle fut effrayée par le récit du miracle, soit qu'elle eût peur de prêter la main au sacrilège, au lieu d'accomplir la mission qui lui avait été confiée et qu'elle avait acceptée, cette femme alla tout dévoiler à son confesseur, Pierre Van den Heede, curé de la Chapelle, et lui remit les hosties ; en même temps, elle lui raconta ce qu'elle savait.
Pierre Van den Heede fit part de ces faits à Jean de Woluwe, recteur de Saint-Nicolas, à Michel de Backer, vice-pléban de Sainte-Gudule, et à Jean d'Yssche ou d'Isscha, chanoine et écolâtre de la même église. Ils se réunirent, interrogèrent Catherine qu'ils enfermèrent à Sainte-Gudule dans la chapelle de Saint-Jean, aujourd'hui baptistère, et firent rapport au duc Wenceslas, alors régnant, sur ce qui s'était passé. 
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Wenceslas réunit son conseil auquel il adjoignit de graves théologiens. On commença par arrêter tous les Juifs qu'on put trouver, les rendant tous solidaires de l'attentat ès religion commis par quelques uns des leurs. Ils furent enfermés à la Steenpoort et leur procès fut mené vivement. On entendit des témoins, entre autres un jeune homme demeurant dans la rue appelée depuis Kerstenmannekenstraetje (ruelle de l'Homme-Chrétien) et qui avait eu des révélations (1). Puis, on interrogea les coupables ; on les tortura suivant la coutume du temps ; enfin on condamna à mort les sacrilèges. Ils étaient trois, disent les uns, sept, disent les autres, et nièrent jusqu'au bout toute participation au crime.
(1) D'autres disent que cette ruelle reçut ce nom parce qu'elle était habitée par un jeune tisserand fort pieux «à qui le Seigneur, d'après une tradition mystique, manifesta en 1435 le désir de voir reprendre les processions du Très Saint Sacrement de Miracle, interrompus depuis longtemps». 
​

L'exécution eut lieu le 22 mai 1370, veille de l'Ascension. Les condamnés, placés sur une charrette, furent promenés par la ville, exposés aux injures de la populace qui les couvrait d'immondices et, en divers endroits, notamment au Marché et devant la chapelle de Sainte-Catherine, tenaillés par le bourreau qui leur arrachait, avec des pinces rougies, des lambeaux de chair et coulait du plomb fondu dans les blessures. Ensuite, ils furent attachés à un poteau et brûlés vifs sur le Wollendries ou pré aux Laines, entre les portes de Namur et de Hal. 

Catherine fut relâchée quelque temps après. Enfin, les Juifs furent expulsés du Brabant et leurs biens, confisqués, rapportèrent au duc la somme de quatorze cent treize moutons d'or et demi soit vingt-quatre mille francs environ de notre anciennes monnaie.

Certains auteurs disent que tous les Juifs furent brûlés, jeunes et vieux. D'autres ajoutent, ce qui est probable, que beaucoup d'entre eux furent massacrés par le peuple.

Les hosties outragées furent partagées entre l'église de Sainte-Gudule et l'église de la Chapelle. Les unes et les autres ont, comme bien on pense, disparu depuis longtemps. Les premières seules ont été remplacées.
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Scène de profanation à la cathédrale Saint-Michel-et-Gudule Vitrail de Jean-Baptiste Capronnier du XIXe siècle
Celles de Sainte-Gudule avaient été enfermées dans un riche ostensoir d'or et une fête spéciale fut instituée en l'honneur du Très Saint Sacrement de Miracle. A cette occasion, une procession parcourait tous les ans les rues de la capitale le jour de la Fête-Dieu. Plus tard, en 1530, Marguerite d'Autriche institua le 20 juillet une procession spéciale qui fut l'origine de la kermesse de Bruxelles. Enfin, le clergé célèbre pompeusement tous les cinquante ans le jubilé du miracle. Le dernier a eu lieu en 1870.

​Ce n'est pas sans peine que les hosties sanglantes, et celles qui leur ont succédé ont été conservées. En 1579, lors des troubles religieux qui eurent lieu à Bruxelles, un chanoine les cacha ; puis, elles furent transportées secrètement dans la demeure d'un autre prêtre. Il serait peu intéressant de les suivre dans leur marche vagabonde ; qu'il suffise de savoir qu'elles furent restituées à Sainte-Gudule en 1585. 

II
LES HOSTIES SANGLANTES DEVANT L'HISTOIRE ET DEVANT LA SCIENCE.


Durant de longs siècles, on a discuté le miracle des hosties sanglantes. On a apporté des preuves, fait des enquêtes, examiné des textes, com-pulsé des manuscrits et il y aurait une belle pa-ge d'érudition à écrire à ce sujet. Dieu me garde de pareilles démonstrations !

Et pourtant, que de jolies choses je vous dirais ! Je déterrerais, par exemple, un document du XIVe siècle qui est un feuillet du registre des «comptes du receveur général du duc de Brabant, Godefroid de la Tour, pour l'année 1370» ; puis, une charte de Robert, évêque de Cambrai, revêtue de son sceau, adressée au doyen de Sainte-Gudule et renfermant deux choses : une requête, rappelée par l'évêque, du doyen et du chapitre de la collégiale, datée de 1370, et le jugement de l'évêque. (1) Par la première de ces pièces, vous verriez que les Juifs ont été brûlés «pour s'être procuré avec mauvaise foi et furtivement des hosties» la seconde vous montrerait que les hosties ont été enlevées et «remises entre les mains de quelques Juifs qui, afin qu'ils les insultassent, les maltraitassent et les couvrissent d'injures». Vous ne trouveriez nulle part des traces de sang.

(1) Il y avait eu contestation entre l'église Sainte-Gudule et la Chapelle, le curé de cette dernière, chez qui les hosties avaient été portées comme nous l'avons vu, refusant de s'en désaisir. Il avait cependant été convenu après que neuf d'entre elles seraient données à Sainte-Gudule, les autres demeurant à la Chapelle. Mais les chanoines de la collégiale, mécontents, s'adressèrent à l'évêque de Cambrai ; d'où le jugement dont nous parlons.

Ensuite, je vous citerais un tas d'historiens du temps qui ne disent mot du miracle. Enfin, j'ajouterais qu'en 1581, lorsqu'on interdit à Bruxelles le culte catholique, les magistrats de la ville lancèrent une proclamation, rédigée en français et en flamand, dans laquelle ils disaient: «... que ce qu'on a jusques maintenant appelé le Saint Sacrement de Miracle a été trouvé, par les propres lettres et preuves qu'on a, n'avoir jamais saigné, ni été blessé».

Voilà ce que je vous dirais. Mais je ne suis pas un historien austère et grave ; je suis un humble chroniqueur, à qui il n'est pas permis de se perdre dans le fatras de l'érudition. Cependant, si vous me demandiez sur quoi l'on s'est fondé pour prouver le miracle, je vous dirais que c'est précisément sur les pièces que je vous ai citées tantôt et qui semblent démontrer qu'il n'a pas eu lieu, puisqu'elles ne parlent ni de sang versé, ni de blessures faites.

Quant à cette, étrangeté de voir les mêmes manuscrits servir de preuve pour ou contre, elle s'explique par ce fait qu'ils ont toujours été mal lus. Ainsi, moi qui les ai eus sous les yeux, je puis vous assurer que j'ai vu, dans celui de Godefroid de la Tour, que les Juifs ont été brûlés «pour s'être procuré avec mauvaise foi et furtivement des hosties» et non pas «pour avoir poignardé et s'être procuré furtivement des hosties», ce que tous les auteurs y avaient trouvé jusqu'en 1870. On avait lu puncto (poignardé) au lieu de punice (mauvaise foi).

Mais d'autres interpréteront la chose différemment. 

Je vous conseille d'y aller voir.

Disons ici que ce n'est pas à Bruxelles seulement qu'on a pu observer ce miracle. Il s'est présenté à Paris en 1290, en Bavière en 1337, en bien d'autres lieux, à bien d'autres reprises encore, -avec quelques variantes, il est vrai.

Chose plus curieuse : on signale un fait du même genre dès 788 ; un autre au IXe siècle en Syrie, et cette fois le sang coule si abondamment qu'on peut en distribuer dans toutes les églises d'Europe ; un autre encore en 1317 à Lumay ; d'autres, enfin, à Cologne en 1331, à Amster-dam en 1345, à Middelbourg en 1374, à Mayence en 1383, etc., etc. En 1510, on en signale encore un : «Les hosties saignèrent trois heures de suite». En outre, un second vol d'hosties eut lieu en 1383 à Sainte-Gudule. Mais on manque de détails sur cet événement.

Notons également ce fait que ce sont toujours les Juifs qu'on a accusés de ces sacrilèges.

- Pourquoi ? demanderez-vous.

Ecoutez ce que dit un auteur de la condition des Juifs au moyen âge : «Rien ne leur appartenait, -ni leur personne : ils devaient porter un signe distinctif comme les infâmes ; s'ils émigraient, leurs propriétaires s'étaient entendus pour les appréhender au corps dans les pays voisins ; au besoin, on rassemblait le troupeau et chacun venait reconnaître ses têtes de bétail ; -ni leurs enfants : on les leur volait pour les baptiser ; -ni leur femme : dès qu'elle voulait abjurer, le divorce était de droit ; -ni leurs biens : ils étaient taxés à l'entrée, à la sortie et pour le séjour ; au moindre prétexte, on annulait leurs créances et la banqueroute des Juifs contre les chrétiens était entrée dans les coutumes, presque dans le droit ; -ni leur honneur : on les humiliait par piété ; quand venait la semaine sainte, il entrait dans les cérémonies du culte de les lapider ; à Toulouse, on avait transigé : ils pouvaient se faire représenter par un de leurs notables qui, le vendredi saint, sur le perron de la cathédrale, était souffleté publiquement, à la gloire du Christ ; il n'est pas de crime, enfin, dont on ne les accusât ; -ni leur vie : toute violence contre eux semblait légitime ; à tout propos, la justice les brûlait, le peuple les massacrait, les rois faisaient abattre ce bétail pour en prendre la chair et la peau.»

Voilà la vie que l'on faisait à ces malheureux : ils étaient excommuniés par la société et il y avait de temps à autre des massacres généraux de cette caste.

Au XIlIe et au XIVe siècle, ces massacres ne se comptent pas : on tue les Juifs par centaines, par milliers, en 1230 dans la Bretagne, l'Anjou et le Poitou ; en 1287, en Allemagne ; en 1290, en Alsace, en Bohème et en Moravie ; en 1320, en Guyenne, en Languedoc, en Aragon, en Navarre et dans le Dauphiné.

En 1348, la peste noire ravage l'Europe. «Les Juifs empoisonnent les eaux,» dit le peuple. Et aussitôt une tuerie générale a lieu : en France, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Belgique, on les traque, on met à mort tous ceux qu'on trouve ; des milliers de victimes perdent la vie.

L'année suivante apparaissent les Flagellants, secte d'illuminés qui parcourent les rues des villes en se fouettant nus et en tuant les Juifs pour conjurer la peste qui dure toujours. A Bruxelles même, la protection du prince ne peut les sauver du trépas.

C'était le peuple qui les massacrait, le pauvre peuple qui vivait dans la misère morale et matérielle, victime de préjugés absurdes qui l'étreignaient, le dominaient et le conduisaient à des actions indignes que tout homme de cœur réprouve.

Et chaque fois qu'un Juif était condamné, ses biens étaient confisqués ; ceux des Israélites brûlés en 1370 rapportèrent à Wenceslas vingt-quatre mille francs, sans compter la part faite au clergé. Que de choses ce détail pourrait expliquer !

Voilà ce que l'histoire nous apprend de ces faits.

Voyons ce qu'en pense la science.

En 1820, le monde fut mis en émoi par une découverte étrange : on avait trouvé à Pavie des hosties sanglantes ! Sanglantes n'est pas le mot : les hosties ne saignaient point, mais elles étaient ponctuées de rouge.

Or, une de ces hosties fut envoyée à Ehrenberg, savant allemand, qui la soumit à une analyse complète. Il finit par découvrir que c'était une hostie ordinaire et que les taches rouges qui la marbraient étaient dues à la présence d'un organisme infime -un de ces infiniment petits, à peine visibles au microscope, dont le rôle est cependant si grand dans la nature- qu'on a appelé le micrococcus prodigiosus. Un drôle de nom, n'est-ce pas ? C'était lui qui donnait à l'hostie cette teinte rouge, lui qui faisait croire au peuple que l'hostie saignait. Qui s'en serait jamais douté ? 

Depuis, la découverte d'Ehrenberg a souvent été confirmée. (1)

(1) Ce phénomène n'est pas unique en science: n'a-t-on pas trouvé de la neige rouge, dont la couleur est due à la présence d'une multitude de petits champignons. 


Pour nous, qui devons juger les choses avec calme, il faut nous pénétrer de ce que disent l'histoire et la science.

Soyons justes, impartiaux. Évitons les fautes commises par nos ancêtres.

Pendant des siècles, on a torturé, brûlé, martyrisé de pauvres malheureux, innocents à coup sûr des crimes dont on les accusait ; on les a traqués, chassés des villes et des pays ; on les a mis au ban de la société ; on leur a fait, en un mot, une existence infernale, toute de douleurs et de misères. 

Mais les temps sont venus où la science, calme, juste, tolérante, a examiné les faits et a prononcé son jugement.

Ayons foi en elle, qu'elle soit notre guide, inspirons-nous de ses principes ; n'acceptons comme vrai que ce qu'elle démontre être vrai, chassons de notre cœur et de notre cerveau ces préjugés vulgaires qui ont été cause de tant de malheurs.
Victor Devogel
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