Le BoorLe Bruxellois d'autrefois adorait la campagne, à cause du zwette-panch et du witte-panch, des boukenotjes, des prinkères et même du chant du rossignol. Le Prado, le Morian, la Maison-Blanche, le Champ d'Asile, la Lampe, le Chasseur, le Casino d'Eté l'attiraient parce qu'il était désireux de folâtrer sur l'herbette émaillée de fleurs de beurre, d'écouter le murmure pastoral du ruisseau, d'admirer les sites pittoresques et de graver, dans l'écorce d'un chêne, deux initiales entrelacées au milieu d'un coeur larmoyant. Il se livrait ensuite à une chorégraphie transcendante avec la permission de Monsieur le Bourgmestre et le concours empressé de paysannes peu farouches. A cette époque idyllique, il y avait entre le boor et le Bruxellois des contacts fréquents : si le Bruxellois avait ses guinguettes dans les villages suburbains, les boors avaient leurs staminets autour des marchés où ils amenaient leurs légumes — dans des charrettes à chiens, et non par le moyen de l'odieux, mais pratique, tramway vicinal. Les enseignes étaient nombreuses qui l'invitaient, en ville, au faro patrial : In den Boer van Wolverthem ; In de Boerineke van Neder-over-Humbeek ; In de Schievegesloge Melkvrouw, etc. Les citadins venaient fraterniser avec le boer dans ces établissements, sous les espèces de l'ettekeis et l'on chantait en choeur : Boore leive, dat ess pleizant Mais quelquefois, les mêmes citadins, toujours zwanzeurs, s'offraient le plaisir de blaguer le boor : Blauw patate, schelle va visch. Le jor d'ojord' hui, comme dit Mine Rollekechik, les vieilles herberg à boors sont aussi rares que les icebergs à Borna : nous avons vu avant-hier — voile-toi la face, Pie Poseleyntje ! — deux naturels de Boendael s'adonner au chocolat-biscuit dans un bar automatique ! D'autre part, le Bruxellois up to date n'a plus les goûts naïvement champêtres des aïeux : finies les guinguettes à volets verts, à gloriettes enguirlandées de clématites, à duivelsbier, à raaïspap, à ramonaches et à fricadelles ; enterrés les bals de kermesse surveillés par le paternel champetter ; disparues les échoppes de foire installées en face des Dikke Poemp villageoises, où l'on gagnait des spoerpots et des carabitjes.... C'est que les goûts du Bruxellois, quant aux paisibles délassements ruraux (accusatif grec) se sont modifiés ; la faute en est aux agissements d'une édilité que nous n'hésiterons pas à qualifier de tentaculaire. Cette édilité a, en effet, inculqué à ses administrés des notions nouvelles sur la flore ; aux belles fleurs, fraîches et parfumées, poussées au grand air vivifiant, elle a substitué, dans ses squares, des fleurs en briques, des bordures en cailloux et des parterres en gravats concassés, faussant ainsi irrémédiablement le goût de nos nés natifs. Assurément, cette végétation calcaire a ses avantages : elle résiste très bien au soleil, à la pluie et au vent ; elle ne nécessite aucun échenillage ; point n'est besoin d'arrosage pour elle : les greffes et les boutures s'obtiennent au moyen de marteaux et de mortier et l'on peut semer indifféremment au printemps ou à l'automne ; enfin, quand ces fleurs de Quenast ou de Boom ont cessé de plaire, en tant que fleurs, on les emploie pour réfectionner le macadam de la rue de la Loi. Bruxelles, notons-le en passant, est ainsi la seule ville qui soit parvenue à faire ressembler ses jardins publics à des musées de géologie, la première cité qui ait intrônisé, à côté de l'horticulture, la briqulture. Mais cette science nouvelle a porté le coup de mort à la vieille passion du Bruxellois pour la campagne : elle a rompu les ponts entre le boor et lui ; ainsi les fervents du théâtre, habitués à l'artificiel de la mise en scène, préfèrent les parcs en toile peinte aux forêts que le Bon Dieu fait pousser pour nous donner de l'ombre, du mystère et de la joie ; ainsi la professionnelle de la galanterie ne se trouve belle que quand elle a agrandi, d'un crayon savant, ses yeux ensorceleurs, et carminé soigneusement ses lèvres impures. La Pisswaaïf
Ses fonctions présentes, dans le café où elle a trouvé à s'employer, sont d'une modestie à nulle autre égale ; après s'être consacrée si longtemps au bonheur de ses contemporains, elle n'aspire plus, maintenant, qu'à concourir à leur soulagement. Elle étouffe en été et grelotte en hiver dans des sous-sols chargés de lourdes émanations, mal odorants... et pour cause. Elle y remue de la mélancolie et y brasse de la tristesse ; le balai qui est devenu l'insigne de ses attributions n'est plus de ceux que l'on rôtit. Sans la géné-rosité accidentelle d'une ancienne connaissance, qui lui baille les quarante sous de la reconnaissance, sans l'époque du melon, le métier ne la nourrirait pas. Elle est lunée par les vieilles lunes, elle rêve ses anciens rêves, elle repasse le passé... Le bon dessinateur G. Flasschoen contemplait, un soir, une pisswaaïf au profil tout à fait caractéristique, laquelle pisswaaïf, tandis qu'il se lavait les mains, préparait la serviette qui allait les essuyer. Flasschoen murmura à part lui : — Elle a un type !... La pisswaaïf répondit : — Non, monsieur, maintenant je n'en ai plus. Mais j'en ai eu jusque sept ou huit à la fois, quand's'que j'étais jeune et jolie... Zievereer, Krott et Cie, Architek. Baedeker de physiologie bruxelloise. Editions Corporate Copyright
Curtio (Georges Garnir) Croquis de Gustave Flasschoen et Amédée Lynen
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