Ils traversaient les marchés, les foires, les chantiers. Le marchand s'annonçait au son des clochettes. On le hélait. Il s'amenait, rinçait un verre, ouvrait le robinet placé sous la colonnette et le remplissait de son breuvage. Il encaissait sa «cenne» et s'en allait vers d'autres clients.
Il se promenait à la Marolle où il avait beaucoup de clients. Connaissant tout le monde, il colportait les nouvelles du jour. Il était à la fois gagne-petit et gazette vivante. - Les ouvriers qui avaient un maigre salaire, se contentaient volontiers d'un verre de coco, ajoute Gustave Abeels. Mais la prospérité aidant, ils se tournèrent vers la gueuze, le faro ou le lambic. Au fil du temps, les marchands de coco quittèrent les chantiers pour offrir leur breuvage dans les environs des casernes et des champs de manoeuvre. Ils désertèrent ainsi les rues de Bruxelles. Dans les années 50, seul Albert Deltombe continuait encore à monnayer son jus de réglisse aux passants, son étrange boutique sur le dos. Depuis lors, le métier a totalement disparu et ceux qui l'ont exercé aussi. Il ne reste que quelques témoignages indirects de gens qui ont eu à coeur de sauvegarder quelques aspects marquants de ce qui fut la vie bruxelloise d'autrefois.
Un certain G. Freddy publia en 1904 une série d'«études vécues» concernant le Bruxelles inconnu, dans laquelle il évoque certains «trucs» et secrets du marchand de coco. - Quand on connaît bien le métier, on achète le bois de réglisse en botte à raison de 80 centimes la botte - ce qui est plus économique et meilleur que la poudre de réglisse - et on le pulvérise avec un marteau. L'auteur évoque également quelques questions financières et notamment la mise de fonds du marchand de coco. - Le bac coûte 22 F - il est vrai qu'il peut résister aisément une dizaine d'années. Il faut 4 F 50 de peinture, 7 F de clochettes, 5 F de plumeaux, 2 F 50 de boules, 70 centimes pour les deux verres et 20 centimes de bretelles! Mais certains bacs, tout simples, ne coûtent guère plus de 16 F. Bien sûr, avec ces bacs-là, il ne fallait pas rêver aux enjolivures, ornements ou panaches ! - C'était le bon temps, signale encore G. Freddy, au début du siècle. On prenait alors un repos d'hiver de deux mois. Mais les temps ont changé et, à présent, le marchand de coco s'estime fort heureux lorsque sa recette atteint 5 F dans la semaine et 10 F le dimanche. Ce gain quotidien de cent sous est à peine grevé, car les frais de préparation ne s'élèvent guère à plus de 15 centimes par jour. Sans compter que le tenancier de l'«herberg op straat» - cette inscription orne le bac lui-même - n'a pas de loyer, pas de faux frais, pas de contributions, pas de patentes. Contrairement aux cafetiers qui ont pignon sur rue. Reste que vendre du coco est un métier saisonnier. L'hiver, le marchand range son attirail et se transforme, par exemple, en marchand de beignets et de croustillons! - En hiver, je déambulais avec une cuisinière sur mon ventre, explique Albert Deltombe au «Pourquoi Pas?». Un bac avec des cendres de bois allumées et sur le couvercle des «smoutebolle. Au début du siècle dernier, ils étaient encore une centaine de marchands de coco à arpenter les rues de Bruxelles. Nombre d'entre eux habitaient les impasses des Marolles, affirme Gustave Abeels dans «les petits métiers des Marolles», ou des rues comme la rue de la Rasière, la rue de l'Hectolitre ou encore la rue Sainte-Thérèse. Albert Deltombe, lui, n'avait pas peur de la concurrence des cafés, car, disait-il : rien ne vaut un bon verre de « Kalichezap » ! Sources :
Perles et Curiosités des communes belges / Louis Quievreux - Robert Desart Le Soir - Lundi 10 janvier 1994 / Martine Duprez
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