La queue de billardMonsieur Bastin écrivit plusieurs sketches pour Simone Max. Ils reposaient tous, ou presque, sur un même quiproquo à fortes connotations « sexuelles ». Le plus célèbre, sans doute, et qui fit rire des générations, de dames notamment, est La queue de billard où l'on imagine d'emblée quel genre de quiproquo peut tourner autour du mot « queue » ! François est impuissant (« il remet toujours au lendemain, ce qu'il ne sait pas faire le jour même ! »). Ernestine, sa femme, a entendu parler d'une cure psychanalytique pour remédier aux problèmes dont souffre son mari, par ailleurs grand amateur de billard. Alphonsine, épouse d'Oscar, l'ami de François et, par conséquent, amie d'Ernestine vient rendre visite à la délaissée. Il s'ensuit une discussion où Alphonsine parle d'une queue de billard tandis qu'Ernestine s'imagine qu'elle parle du zizi de leurs maris respectifs ! Alphonsine, à qui François a fait ses doléances, décide d'intercéder en sa faveur pour que le pauvre puisse avoir des distractions. Elle « prendra son affaire en main comme si c'était celle de son mari » ! Ça commence bien ! ALPHONSINE — Il m'a parlé de.. de son cas. ERNESTINE — Qu'est-ce que vous en pensez ? ALPHONSINE — Faut le laisser jouer, hein ! ERNESTINE — I joue si mal ! ALPHONSINE — Oué mais il paraît que vous l'énervez avec votre présence. ERNESTINE — Je dois quand même être là quand il joue, hein, Madame ? ALPHONSINE — Et pourquoi ? ... mais oui, pourquoi, au début avec Oscar, c'était toujours la même chose et il ratait toujours tous ses coups. ERNESTINE — Dites, qu'est-ce que vous avez fait pour ça ? ALPHONSINE — Eh bien, je l'ai laissé jouer tout seul, sans le regarder. ERNESTINE — Et il a pris goût à ça ? ALPHONSINE — Mais naturellement. Tous les jours, il s'entraînait pendant deux heures. ERNESTINE — Deux heures ! J'pense bien qu'il sait être prêt. ALPHONSINE Oué mais, depuis, hein, il n'a plus jamais été intimidé, même pas devant ses amis. ERNESTINE — Ah ! Vous faites ça en public ! ALPHONSINE — C'est plus gai, hein ! Et puis ça met de l'ambiance... Mais c'est une habitude. La dernière fois on a tellement ri, hein, qu'on a dû s'arrêter. (Un temps) Je dois dire qu'au début, Oscar avait un p'tit défaut : il la tenait toujours un peu trop bas. ERNESTINE — François aussi. ALPHONSINE — Alors évidemment, y avait pas d'effet, hein. ERNESTINE — Mais c'est ce que je me tue à lui expliquer, Madame. ALPHONSINE — Oué mais, depuis il s'y est mis, hein ! Et maintenant sa moyenne est de trois coups ! ERNESTINE — Trois coups ! Vous en avez, d'la chance ! ALPHONSINE — Mais ça viendra aussi... ERNESTINE — Y a plus rien, ça est mort ! ALPHONSINE — Mais non, mais non, mais non. Ça viendra... Seulement il faut d'abord qu'il y a un bon matériel. Ça c'est indispensable... (Un temps) Mais dites-moi un peu, qu'est-ce qu'elle pèse ? ERNESTINE — Moi j'ai jamais mis ça sur une balance ! ALPHONSINE — Maintenant, le poids réglementaire est de 550 grammes. ERNESTINE — 550 grammes ! Une bonne livre ? ALPHONSINE — Oué, oué, et quelle est sa longueur ? ERNESTINE — Ça, madame, je sais plus... depuis l'temps. ALPHONSINE — Celle d'Oscar a un mètre quarante. ERNESTINE — Un mètre quarante ! ALPHONSINE — Oh ! Il la passe facilement derrière son dos. ERNESTINE — Mais ça est l'homme serpent, votre mari ! ALPHONSINE — C'est lui qui m'a appris tous les coups ! Seulement, pour bien les réussir, hein, il faut absolument qu'elle soit bien droite et bien calibrée. ERNESTINE — Ah ! Oué ! Ça! Seulement, celle de François... c'est un peu la Tour de Pise, hein ! ALPHONSINE — Mais la meilleure position, vous la connaissez ? ERNESTINE — Non, non, madame. ALPHONSINE — Mais enfin, qu'est-ce qu'on vous a appris, à vous autres ? ERNESTINE — J'sais faire des crêpes... ALPHONSINE — Allez ! Je vais vous expliquer, vous allez voir, c'est pas difficile. ERNESTINE — Je suis contente que vous êtes venue aujourd'hui vous savez... Ça je suis contente. ALPHONSINE — Le pied gauche en avant. Le pied droit en arrière... Vous évincez un rien le corps puis vous prenez l'objet de propulsion... ERNESTINE — Ah ! Ah ! Ah ! C'est comme ça que vous appelez ça! ALPHONSINE — Et vous, vous appelez ça comment ? Mais c'est le terme technique. Tout le monde appelle ça comme ça. ERNESTINE — Comment est-ce que vous avez dit ? ALPHONSINE — L'objet de propulsion... ERNESTINE — ? ALPHONSINE — Allez... Je recommence, hein ! Pied gauche en avant, pied droit en arrière... Evincer le corps, prendre l'objet de propulsion mais pas la serrer, hein ! ERNESTINE — Ça fait mal ? ALPHONSINE — C'est mauvais ! Très mauvais ! ERNESTINE — Et masser ? ALPHONSINE — Quoi ! Mais enfin, Madame Ernestine, mais où êtes-vous donc... ? Mais enfin ça est tout de même la dernière des choses... Mais enfin, c'est écrit partout en long et en large : « DEFENSE DE MASSER ». Et puis ça fait des trous dans les draps et c'est chaque fois cinq cents francs ! ERNESTINE — Ouïe ! Pas masser, non, non..., pas masser. ALPHONSINE — Je recommence. ERNESTINE — Oui, Madame. ALPHONSINE — Pied gauche en avant, pied droit en arrière... Evincer le corps, prendre l'objet de propulsion avec délicatesse à peu près vers le quart de sa longueur. ERNESTINE — Mais alors, i restera plus rien, madame ! ALPHONSINE — Comment, i restera plus rien ! Enfin, la moitié, et la moitié de la moitié. Vous trouvez qu'il ne reste plus rien, vous ? ERNESTINE — Je ferai avec c' qu' i reste. ALPHONSINE — Enfin, mais on n'a jamais eu plus. (Un temps) Maintenant, un dernier conseil très important : ne jamais choquer les billes ! Il faut au contraire qu'elles restent bien groupées ! ERNESTINE — Moi je veux bien, Madame. ALPHONSINE — Eh bien voilà, maintenant au moins vous êtes raisonnable. Ça c'est bien, tenez. Mais enfin, il faut qu'il s'amuse, hein ! ERNESTINE — Mais enfin, madame, qu'il s'amuse mais quand je suis là ! ALPHONSINE — Mais non ! Laissez-le s'amuser tout seul. Il viendra de lui-même vous chercher... Croyez-moi, j'ai passé par là... Je sais ce que c'est. Je parle par expérience. Bande sonore :
LES ZWANZEURS - Anthologie de l'humour bruxellois Georges Lebouc Enregistrement réalisé sous la direction de Nicole Lorent Ingénieur du son : Orlando Dus Production : Radio Bruxelles Capitale - RTBF
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Le Bliekschaaïter Le flamand, dans les mots, brave l'honnêteté, du moins lorsqu'il entre dans la formation de certaines qualifications bruxelloises. Aussi, éviterons-nous de traduire ou même d'analyser le mot « bliekschaaïter », l'un des plus expressifs de la « langue ». Nous nous contenterons de suggérer le plus délicatement possible sa savoureuse étymologie. Trullemans est venu voir son fils et sa « belle-file », le jeune « ménâche », comme il dit. Son fils est blond, très blond, pâle, très pâle et mince, très mince. Sa femme est encore plus blonde, plus pâle et plus mince. Trullemans père est pourvu d'une forte tignasse, presque noire, d'un ventre sérieux et d'un teint coloré. Sa progéniture ressemble à Mme Trullemans. C'est un malheur. Mais, que voulez-vous ! Il faut croire qu'il a épousé Melle Trullemans par distraction. Trullemans a consenti à partager son repas du soir avec « les enfants ». — Eh bien, père, questionne prudemment la jeune dame Trullemans, qu'est-ce que vous allei soupei ? La réponse est muette : trois bouffées de pipe lancées coup sur coup, comme une préparation d'artillerie. — Ce que je vaie soupei... Si je pouvais choisir... eh bien... Mais il n'y a rien qui presse, vous savei... — Vous n'avez pas faim, père ? — Si, si. Qu'est-ce que vous pensez do ! Mais... — Il doit finir sa pipe, dit Trullemans fils, d'un ton aigre... C'est toujours la même chose ! Avec ces fumeurs ! — Est-ce que voter' cuisine est un compartiment pour non fumeurs. Je ne vois ça écrit nulle part. — Pour moi, ça ne fait rien. Mais c'est pour Albert... pour ses bronches. — Ses bronches ? — Sa poitrine enfin. Ça le fait tousser. — Qu'est-ce qu'il a besoin de tousser. Est-ce que je tousse, moi. Et j'ai la fumée direct dans ma bouche. — Si ça n'était qu'un peui. Mais on se voit plus ici. Ça fait mal à la gorge. Ça pue. On a les yeux qui piquent. — Eh bien, jeune homme, moi je vais vous donner un bon consel. Fermei vot' bouche, oué, et vot' nez et vos yeux. Mettei vos pieds dans le four, vos mains dans vos poches et vot' chapeau sur vot' tête. Et... salu en de kost... Moi, je joue schampaveie... — Mais père, Albert a toullemême pas dit ça pour vous vexei, hein. Allei, vous allei soupei... — Je vaie soupei « In de Vos », chez Veulebeek. Là j'aurai quelque chose à mon goût. De la viande froide, salade, avec des pikkels et une demi-gueuze. Moi, je ne suis pas comme vous autres. Je ne saie pas vivre rien qu'avec des Quaquer Oats, des papes, du yoghourt et de l'eau minérale. Je n'ai pas l'envie de gagner un venter' comme un aquarium. — Et moi, je n'ai pas l'envie d'avoir plein de boutons dans la fughur. — Des boutons ! Vous feriez mieux de fermei une fois celui de vot' culotte. — Allei, père. On va pas se disputei, hein. — Vous n'avez pas la force assez pour disputei. Si ça n'est pas malheureui d'avoir un enfant comme ça. Je suis pas fier de vous, vous savei. Regardei moi ça. On dirait que ça est en papier machei. — Gros et rouge, ça ne veui pas dire bien portant. — Vous avez besoin d'une couche de couleur, mon garçon. Ça n'est pas étonnant que vous êtes malade ; et puis vous n'êtes pas malade. Vous êtes flâ. Oui, ça vous êtes. Et vous aimez seulement tout ce qui est flâ. Tenet, regardei là, sur le piano. « La Danse des Libellules », « Lakmei, ton doux regard... », « Quand les papillions fermeront leurs ailes... » — Vous aimez sans doute mieux le jazz hot. — Jazotte, jazotte ! J'aime pas ce qui est staaïf. Voilà ! J'aurais dû vous jetei dans le canal quand vous étiez petit, tenet, comme un zinneke. Oué. Aie, aie, aie, quel malheur ! Je n'oserais même pas dire que vous êtes mon fils... Non... Est-ce que vous êtes seulement mon fils. Je me le demande, vous savei. Il a la gorge qui gratte, un nez qui sent toujours après quelque chose et il a des bronches. Ça vot' père n'a jamais eu, vous savez. Je suis genèi de vous... oué, genèi. Zuu ne bliekschaaïter ! La voilà enfin lâchée, la forte expression. Le « bliekschaaïter » est l'être dont la pâleur est congénitale, essentielle, irrémédiable. Son tempérament, son alimentation, ses goûts le mènent fatalement à une complète décoloration. Elle est physique et morale. Elle est tellement profonde, à ce point inhérente à l'individu, que tout ce qui émane de lui est pâle. Cette pâleur a tout envahi et s'étend jusqu'aux derniers résidus de sa nutrition. Ces précisions suffiront, je pense, à renseigner, sans les offusquer, les Anglaises les plus pointilleuses, sur les origines du mot « bliekschaaïter ». Le jour où un « bliekschaaïter » considère que son complet gris, sa chemise réséda et sa cravate aux tons laiteux sont suffisamment défraîchis, il est entièrement satisfait de son image et choisit ce moment pour faire « tirer son portrait ». Extrait de Bruxelles Rive-gauche. Bande sonore :
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Je vais vous raconter une petite histoire : Un Gantois se trouvait dans une dèche noire ; Ça peut arriver à tout le monde, ma foi, Et moi-même, Messieurs, je le fus quelquefois, Je l'avoue, humblement, sans chiqué, sans manières. Qui n'a jamais déché, peut me jeter la pierre ! Ce Gantois se trouvait en pays étranger, Depuis près de deux jours il n'avait plus mangé. Il était sans travail, sans aucune ressource. Et n'avait, juses God, plus un' cens dans sa bourse. La Providence veillait, car un brave forain Lui apprit qu'on cherchait pour le cirque voisin Un homme qui pourrait, moyennant une thune Faire un certain travail. « Cent sous, c'est la fortune », Dit-il ! Il s'agissait (silence et discrétion) De se mettre le soir dans la peau d'un lion, Car ce brave animal, atteint de nostalgie Regrettant son désert, avait rendu la vie. Donc le Gantois devait revêtir cette peau Et faire le lion, aux yeux des bons badauds, Puis, lorsque le dompteur entrerait dans la cage Il n'avait plus vraiment qu'à rugir avec rage !!! Ça va ? Marché conclu ! On vide une bouteille. Ventre affamé, dit-on, possède pas d'oreille, Et lorsque vint le soir, notre brave Gantois, Dans la cage en question, se glisse en tapinois. Tout se passe très bien, il tourne dans sa cage Et semble aux spectateurs, avoir soif de carnage. Mais comme il fait très chaud, il a soif, simplement Il pousse, néanmoins, de longs rugissements !!! Tout à coup, plein d'effroi, de rugir, il s'arrête Des yeux démesurés lui sortent de la tête La cloison, quelle horreur, soudain vient de s'ouvrir Et de peur, le Gantois pense s'évanouir, Car, dans la cage, il voit surgir une panthère Ça y est ! c'est fini ! c'est son heure dernière !!! Elle marche vers lui, d'un air très menaçant, Notre lion rugit, avec un tremblement, Car cette panthère a l'allure belliqueuse Et lui n'a pas, mon Dieu, l'âme bien batailleuse, Il recule en tremblant, mais sans provocation, La panthère, en un coup, jusqu'à lui fait un bond ! Ciel ! de notre Gantois, la frayeur est immense, Grelottant de terreur et perdant contenance Au lieu de rugir, le malheureux pauvre homme, Vu l'imminent danger, lance un grand « Odverdomme » Qui sentait son Gantois d'une lieue sûrement. Prodige merveilleux, la terrible panthère À ce mot, s'approcha et dit avec mystère « Ze suis content, z'entends que t'es aussi de Gand ! » Juillet 34 Imprimerie Fuytynck, rue des Ursulines, Bruxelles. Bande sonore :
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